Adopté en première lecture le 11 octobre 2022 par l’Assemblée nationale, le projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi comporte plusieurs nouvelles dispositions, dont une visant à instituer une présomption de démission en cas d’abandon de poste.
Vers une présomption de démission en cas d’abandon de poste
Un amendement au projet de loi marché du travail prévoit d’instaurer une présomption de démission quand le salarié quitte son poste volontairement. L’exposé des motifs de l’amendement indique que cette mesure vise à « limiter le recours des salariés à la pratique de l’abandon de poste lorsqu’ils souhaitent que leur relation de travail cesse, tout en étant indemnisés par l’assurance chômage ».
Une mise en demeure pour s’assurer que l’absence vaut démission
Un nouvel article L 1237-1-1 serait inséré dans la section du Code du travail consacrée à la rupture à l’initiative du salarié.
Selon le projet, le salarié ayant abandonné volontairement son poste et ne reprenant pas le travail après avoir fait l’objet d’une mise en demeure à cette fin, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, serait présumé démissionnaire.
A noter : Lors des débats parlementaires, les promoteurs de l’amendement ont pointé les différents inconvénients posés par la situation actuelle. L’employeur n’ayant pas été prévenu de l’absence du salarié, l’abandon de poste désorganise l’entreprise , en particulier lorsqu’il s’agit d’une TPE . L’employeur se voit obligé de prendre l’initiative de la rupture en licenciant le salarié. Surtout, l’abandon de poste est utilisé pour contourner la démission, qui ne permet pas de percevoir les indemnités de chômage , ce qui a des conséquences sur les finances de l’assurance chômage. Signalons également que l’abandon de poste permet au salarié de quitter l’entreprise sans avoir à exécuter son préavis , puisqu’il se retrouve licencié pour faute grave, alors que le salarié démissionnaire qui n’exécute pas le préavis auquel il est tenu peut se voir condamné à verser une indemnité compensatrice à son employeur (Cass. soc. 18-6-2008 n°07-42.161 FS-PB : RJS 8-9/08 n°889).
Le nouvel article viendrait contrecarrer la jurisprudence de la Cour de cassation , qui estime que la démission doit résulter d’une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail et ne peut pas se présumer. La Haute Juridiction juge ainsi que l’absence du salarié ne constitue pas, à elle seule, la manifestation non équivoque de rompre le contrat de travail caractérisant la démission (Cass. soc. 18-2-1997 n°94-40.532 D ; Cass. soc. 3-12-1997 n°95-45.478 D ; Cass. soc. 24-3-1998 n°96-40.805 D).
A noter : L’exposé des motifs de l’amendement précise que la mesure ne s’appliquerait pas aux salariés qui quittent leur poste pour des raisons de santé ou de sécurité . Pour mémoire, la Cour de cassation estime que le fait de quitter son poste de travail pour consulter un médecin (ou après l’avoir consulté) ne constitue pas en soi une faute de nature à justifier un licenciement (Cass. soc. 3-7-2001 n°99-41.738 FS-PF : RJS 10/01 n°1133 ; Cass. soc. 2-12-2009 n°08-40.156 F-D : RJS 2/10 n°172) et, par ailleurs, qu’aucun salarié ne peut être licencié pour un motif lié à l’exercice légitime du droit de retrait en cas de danger imminent (Cass. soc. 28-1-2009 n°07-44.556 FS-PB : RJS 4/09 n°361).
Procédure accélérée de contestation devant les prud’hommes
Le projet prévoit que le salarié pourrait contester la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption en saisissant le conseil de prud’hommes . L’affaire serait directement portée devant le bureau de jugement , qui se prononcerait sur la nature de la rupture et ses conséquences et devrait statuer au fond dans un délai d’un mois .
La présomption de démission instituée par le projet serait une présomption simple , comme le précise l’exposé des motifs de l’amendement. Le salarié pourrait donc renverser la présomption de démission en saisissant le conseil de prud’hommes. L’issue de la procédure conditionnant le droit aux indemnités chômage, le salarié bénéficierait d’une procédure accélérée , semblable à celle applicable en matière de prise d’acte de la rupture du contrat de travail (C. trav. art. L 1451-1).
Un décret viendrait déterminer les modalités d’exécution de ce nouveau dispositif.
A noter : Lorsqu’un salarié démissionne sans faire état de réserves, puis saisit la justice d’une demande de requalification de la rupture, le juge peut considérer que cette démission est équivoque. Lorsqu’il juge la démission équivoque en raison de manquements reprochés à l’employeur, celle-ci est requalifiée en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifient ou, dans le cas contraire, d’une démission (Cass. soc. 9-5-2007 n°05-40.518 FS-PBRI : RJS 7/07 n°823).
Un seul CDD ou contrat de mission pour remplacer plusieurs salariés absents
À titre expérimental et par dérogation aux dispositions du Code du travail, un seul contrat à durée déterminée (CDD) ou un seul contrat de mission pourrait être conclu pour remplacer plusieurs salariés dans certains secteurs définis par décret (à paraître). Le texte prend soin de préciser, toutefois, que ces dispositions ne pourraient avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Cette expérimentation serait possible pour les contrats conclus à compter de l’entrée en vigueur de la loi et jusqu’au 31 décembre 2024 .
A noter : Cette expérimentation s’intégrerait dans le prolongement exact de celle qui avait été instaurée, entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2020 , par l’article 53 de la loi 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. La liste des secteurs d’activité concernés par la nouvelle expérimentation devrait être sensiblement identique à celle qui avait été alors établie. Elle avait concerné 11 secteurs définis par le décret 2019-1388 du 18 décembre 2019, parmi lesquels le secteur sanitaire, social et médico-social, les services à la personne, la propreté et le nettoyage, le transport routier ou encore les industries alimentaires.
Le texte permettrait de déroger aux articles L 1242-2, 1° et L 1251-6, 1° du Code du travail .
Ces articles disposent, notamment, qu’un CDD ou un contrat de mission peut être conclu pour remplacer un salarié en cas d’absence. Leur rédaction a permis à la Cour de cassation d’établir une règle de formalisme selon laquelle lorsqu’un salarié est engagé sous CDD pour remplacer successivement plusieurs salariés, il doit être conclu avec lui autant de contrats écrits qu’il y a de salariés à remplacer , sous peine de requalification (Cass. soc. 28-6-2006 n°04-40.455 FS-PB : RJS 10/06 n°1034, jurisprudence transposable au travail temporaire au regard de l’article L 1251-6, 1°).
L’objectif du texte serait de favoriser des durées d’emploi plus longues au bénéfice des salariés en contrat court, et de limiter le recours au temps partiel , tout en réduisant les coûts de gestion des entreprises engendrés par la recherche de salariés embauchés pour remplacer les salariés absents, ainsi que le volume de contrats courts signés.
Le Gouvernement devrait remettre au Parlement, avant le 1er juin 2025, un rapport d’évaluation permettant de mesurer les effets de l’expérimentation sur la fréquence de la conclusion des CDD et des contrats de mission ainsi que sur l’allongement de leur durée, et les conséquences des négociations de branche portant sur la durée maximale des contrats, le nombre de renouvellements maximal et le délai de carence.
La VAE serait profondément réformée
Le projet de loi initial comprenait des mesures visant à encourager le recours à la validation des acquis de l’expérience (VAE), notamment en l’ouvrant aux proches aidants et aidants familiaux et en intégrant les périodes de mises en situation en milieu professionnel dans le calcul de la durée minimale d’expérience requise.
Estimant que le dispositif méritait une réforme de plus grande ampleur , les députés ont adopté un amendement présenté par le Gouvernement qui modifie profondément l’article 4 du projet en vue d’une refonte substantielle du dispositif de VAE.
Un service public de la VAE serait créé
En vue de favoriser le développement de la VAE, il est proposé d’instaurer un véritable service public de la VAE.
Ce service public aurait pour mission d’orienter et d’accompagner toute personne éligible à la VAE dans sa démarche. À cet effet, un groupement d’intérêt public (GIP) serait instauré afin de mettre en œuvre cette mission. En pratique, il contribuerait à l’information des personnes et à leur orientation dans l’organisation de leur parcours, participerait à la promotion de la VAE, à l’animation et à la cohérence des pratiques sur l’ensemble du territoire et assurerait le suivi statistique des parcours. Seraient membres de droit du GIP l’État, les régions, Pôle emploi, l’Afpa, les opérateurs de compétences et les associations Transitions Pro, mais d’autres personnes morales publiques ou privées pourraient également y adhérer.
Ces mesures seraient insérées dans le Code du travail aux nouveaux articles L 6411-1 et L 6411-2.
La VAE serait ouverte aux chargés de famille
Alors que le projet de loi prévoyait déjà l’ouverture de la VAE aux proches aidants et aidants familiaux, les députés proposent d’élargir encore un peu plus l’accès à la VAE en permettant aux personnes chargées de famille élevant ou ayant élevé un ou plusieurs enfants de valider leur expérience acquise à ce titre.
La durée minimale d’activité serait supprimée
À l’heure actuelle, la durée minimale d’activité requise pour que la demande de validation soit recevable est d’un an, que l’activité ait été exercée de façon continue ou non.
Cette durée minimale serait purement et simplement supprimée. Autrement dit, si les expériences qui peuvent être validées au titre de la VAE devraient toujours avoir un lien direct avec la certification souhaitée, elles seraient prises en compte quelle que soit leur durée .
La VAE permettrait de faire valider des blocs de compétences
Selon l’article L 6313-5 du Code du travail, les actions permettant de faire valider les acquis de l’expérience ont pour objet l’acquisition d’une certification professionnelle enregistrée au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).
Cet article serait complété afin de permettre aux candidats à la VAE de valider non pas la certification dans son intégralité, mais une partie des blocs de compétences composant cette certification. L’objectif affiché est de faciliter l’accès à une VAE partielle en en faisant « une réussite plutôt qu’une sanction » pour ceux dont le parcours n’est que partiellement reconnu.
La durée du congé pour VAE serait doublée
En vertu de l’article L 6422-1 du Code du travail, les salariés souhaitant, à leur initiative, faire valider les acquis de leur expérience en tout ou partie pendant le temps de travail bénéficient d’un congé spécifique.
Les députés proposent de doubler la durée de cette autorisation d’absence en la faisant passer de 24 heures à 48 heures.
Les modalités d’application seraient prévues par décret
Dans le droit actuel, les modalités de mise en œuvre de la VAE sont prévues par l’article L 335-5 du Code de l’éducation .
L’article 4 du projet, tel qu’adopté par les députés, propose d’alléger considérablement ces dispositions légales en vue de permettre au pouvoir réglementaire de déterminer par un décret l’ensemble des règles d’application du dispositif. Ces mesures seraient en outre codifiées non plus dans le Code de l’éducation, mais dans le Code du travail .
A noter : L’objectif du Gouvernement est de repenser et de simplifier la procédure de VAE. Ainsi, selon l’exposé des motifs, « l’étape administrative de recevabilité sera supprimée, au profit d’une étape de faisabilité, organisée autour d’un entretien préalable avec le candidat, plus respectueux de ses compétences et permettant un meilleur accompagnement. L’ambition est d’extraire la VAE de sa logique administrative, en se départissant des exigences de compilation de preuves administratives et de rédaction. Cela aurait pour conséquence d’éviter les délais de validation du dossier de recevabilité par les administrations. »
Assurance chômage : quelques changements de la part des députés
L’Assemblée nationale a adopté un amendement à l’article 1 du projet de loi, prévoyant que les mesures d’application du régime d’assurance chômage qui seraient fixées par décret et applicables du 1er novembre 2022 et jusqu’au 31 décembre 2023 au plus tard pourraient faire l’objet de dispositions d’adaptation en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint‑Barthélemy, à Saint‑Martin et à Saint‑Pierre-et-Miquelon. Cet amendement vise à pouvoir tenir compte de la situation spécifique des collectivités d’outre-mer .
Par ailleurs, plusieurs rapports d’évaluation sont commandés par les députés :
- un sur l’application des dispositions relatives à l’offre raisonnable d’emploi telle que définie à l’article L 5411-6-2 du Code du travail et les évolutions constatées depuis l’entrée en vigueur de la loi 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, à remettre par Pôle emploi au Parlement dans les 6 mois suivant la promulgation de la loi ;
- un sur le caractère conforme des offres d’emploi diffusées par Pôle emploi , à remettre au Parlement par le Gouvernement dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi.
A noter : En commission des affaires sociales, un amendement concernant la remise d’un rapport sur les conséquences du non-recours aux droits à l’assurance chômage en application de la loi du 5 septembre 2018 avait été adopté. Il a été supprimé après la remise effective de ce rapport au Parlement par le Gouvernement le lundi 5 octobre 2022.
© Editions Francis Lefebvre 2022
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