Un salarié peut-il être contraint, lors de la reprise faisant suite à un accident du travail, de prendre ses congés reportés ? La Cour de cassation ne l’admet pas : l’employeur doit appliquer aux congés reportés les règles de fixation de l’ordre des départs en congé annuel.
Ni l’employeur ni le salarié ne peuvent exiger le report de tout ou partie des congés sur l’année suivante ; toutefois, il arrive fréquemment que, par accord entre les parties ou disposition conventionnelle plus favorable, les droits à congés puissent être cumulés sur plusieurs années. De même, la loi et la jurisprudence permettent au salarié de reporter ses congés, notamment à l’occasion de congé de maternité ou d’adoption (C. trav. art. L 3141-2), en cas de maladie ou accident du travail (Cass. soc. 4-12-1996 n°93-44.907 P ; Cass. soc. 24-2-2009 n°07-44.488 FS-PB), d’annualisation du temps de travail (C. trav. L 3141-22), de congé pour création d’entreprise ou sabbatique (C. trav. L 3142-118).
Quelles sont les modalités de prise de ces congés ainsi reportés ? C’est à cette question que répond pour la première fois la Cour de cassation dans son arrêt du 8 juillet 2020 largement diffusé, rendu au visa de la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail : les congés reportés ont la même nature que les congés acquis, de sorte que les règles de fixation de l’ordre des départs en congé annuel s’appliquent aux congés annuels reportés.
Les délais de prévenance légaux s’appliquent aux congés reportés…
L’employeur doit organiser les congés payés en prévoyant suffisamment à l’avance l’ordre et la période des départs en congés. Ainsi, la période de prise des congés et l’ordre des départs pendant cette période, qu’ils soient fixés par accord collectif ou, à défaut d’accord, par l’employeur après avis du comité social et économique (C. trav. L 3141-15 et L 3141-16), doivent être portés à la connaissance des salariés :
- au moins 2 mois avant l’ouverture de celle-ci s’agissant de la période de prise des congés (C. trav. art. D 3141-5) ;
- au moins un mois avant s’agissant de l’ordre des départs en congés, chaque salarié étant informé individuellement de ses dates de vacances (C. trav. art. D 3141-6).
Dans l’espèce soumise à la Cour de cassation, l’employeur avait cru pouvoir s’affranchir de ces règles et licencier le salarié récalcitrant pour faute grave ; à tort, selon la cour d’appel de Colmar et la Cour de cassation. Un salarié conducteur poids lourds avait été arrêté du 11 juillet au 18 octobre 2015 à la suite d’un accident du travail ; à son retour, l’employeur, soutenant qu’il lui appartient de décider des dates de prise des congés reportés, lui demandait de prendre ses congés reportés. À cette date, le salarié cumulait 24,5 jours de congés reportés « en plus des congés acquis sur la nouvelle période » outre 796 heures de récupération. Le salarié refusait toutefois de signer tant la fiche de congés payés que la fiche de demande de récupération. Licencié pour faute grave, il a saisi la juridiction prud’homale qui l’a débouté de ses demandes, puis la cour d’appel de Colmar, laquelle lui a donné raison.
… car ils ont la même nature que les congés acquis.
Ayant fait substantiellement évoluer sa jurisprudence pour permettre le report des congés sous l’impulsion du juge européen (n°1), là où l’article L 3141-5 du Code du travail ne permet pas de tels reports, la Cour de cassation s’appuie sur les notions dégagées pour la CJUE pour compléter sa jurisprudence, en particulier sur la finalité assignée aux congés payés annuels par la directive 2003/88/CE, à savoir permettre au travailleur de se reposer par rapport à l’exécution des tâches contractuelles lui incombant, d’une part, et disposer d’une période de détente et de loisirs, d’autre part.
Au regard de cette définition, la chambre sociale décide que les congés payés reportés et les congés payés annuels ont la même nature et doivent suivre le même régime. L’employeur avait donc abusé de son pouvoir de direction en imposant la prise de congés reportés du jour au lendemain, ce qui privait le refus du salarié de caractère fautif.